Immobile devant les grilles de Poudlard, Aeter paraissait à peine humain. Ses cheveux longs et sales étaient tellement lourds de graisse que même le souffle du vent ne parvenait pas à les faire voleter. Ils voilaient son regard tandis que la moitié inférieure de son visage était dissimulée par un horrible mélange de poils, de terre et de crasse. Ses ongles, tout aussi répugnants, étaient à présent pareils à des griffes, certains se dédoublant même à force de se casser en gravant d'insignifiantes phrases dans le sol ou l'écorce des arbres. Enfin, ses vêtements, ou du moins les haillons qui en restaient, étaient maculés de souillure, et d'herbe, et présentaient quelques taches rouges dues à des blessures parfois auto-infligées, au niveau du dos et des genoux.

      Mais les yeux d'Aeter brillaient d'une folle noirceur, car en face de lui se tenait enfin le lieu qui l'avait tant appelé. Ou peut-être n'était-ce encore qu'un rêve ? Après s'être violemment griffé le bras droit de la main gauche, il fut convaincu de la réalité de la situation. Le château existait bel et bien, et des lumières et des voix s'en échappaient. L'appareil à musique moldu ayant épuisé sa batterie en quelques jours, le seul bruit d'origine humaine qui avait accompagné Aeter depuis des semaines était le tintement métallique de la précieuse boîte qui pendait attachée à sa main droite par une lanière de cuir. Mais le fait d'entendre de nouveau des voix émanant d'humains autres que lui ou que les personnages de ses rêves réveilla dans son esprit un sentiment qu'il avait oublié : la peur de l'Autre. Il eut soudain une irrésistible envie de s'échapper de cet endroit en courant à toutes jambes, mais il ne parvint pas à bouger d'un pouce. Il était comme pétrifié, et quiconque l'eût aperçu dans cet état y aurait plutôt vu la statue d'un quelconque monstre humanoïde mythologique que la figure d'un jeune garçon de seize ans. Sachant qu'une telle paralysie était le signe d'une rupture entre le corps et l'esprit comme il en arrive lors des rêves, Aeter en déduisit avec soulagement que malgré son test de réalité, cet univers était bel et bien factice et qu'il était en vérité une nouvelle fois victime de catalepsie hypnopompique. Il se calma alors en se concentrant sur sa respiration, s'attendant à se réveiller une fois de plus à l'ombre des arbres de quelque forêt où il se serait évanoui.

      Aeter se réveilla effectivement. Combien de temps s'était-il écoulé ? Il ouvrit grand ses yeux d'un mouvement brusque. Très peu, à en juger la couleur cramoisie du ciel crépusculaire automnal. Descendant le regard, il aperçut de nouveau le château. Il considéra l'imposante structure dans un mélange de crainte et de respect. Rêvait-il toujours ? Certainement, étant donné qu'un homme d'une quarantaine d'année se tenait près de lui. Son regard était hautain, méprisant, et quelque peu intimidant. Lentement et difficilement, Aeter se leva pour lui faire face. L'homme était beaucoup plus grand que lui. Mais quelque chose clochait...

      Se détournant un instant de celui qui se trouvait en face de lui, Aeter commença une série d'étranges mimiques. Il observa longuement ses mains, puis en détourna son regard, et soudain les regarda à nouveau, le regard fixe et brillant. Il répéta l'opération plusieurs fois, comme s'il craignait que ses mains ne s'envolent pendant qu'il avait le dos tourné. Il entreprit ensuite de presser son annulaire droit contre sa paume gauche. Il le fit si violemment et avec tant d'ardeur qu'il semblait vouloir se transpercer la main. Alors qu'une goutte de sang y perla, il commença à paniquer. Il se retourna vers l'homme qui l'observait attentivement et fit de même. Il réfléchit longuement avant de poser la seule question qui valait la peine de l'être :

Es-tu un humain ?

      L'inconnu avait répondu à la question d'Aeter par une autre question, ce qui n'avançait guerre ce dernier. Mais la seconde question que l'homme lui avait posée le conforta à nouveau dans son idée que tout ceci n'était qu'un rêve. Une baguette ? Quelle baguette ? Peut-être l'individu le prenait-il pour un sourcier ? Qu'à cela ne tienne, Aeter décida de tester cet étrange personnage. Ma baguette est dans ma poche, affirma-t-il, sûr de lui. Et il approcha sa main droite, doigts écartés, de la poche de ce qu'il restait de son jean ; mais sans l'y introduire. Ce faisant, il fixa ses yeux en direction de l'autre homme d'une manière si étrange, son regard paraissant si lointain, qu'on eût dit qu'il regardait derrière lui, à travers lui.

      Aeter, surpris de cette question, porta sa main droite à son visage se boucha le nez quelques instants, sans quitter des yeux son interlocuteur. Lorsqu'il eût fini, ses yeux s'écarquillèrent derrière ses mèches lourdes et sales, semblables à deux noires lunes. Il sembla de nouveau fixer avec intérêt un point imaginaire dans l'espace, toujours en direction de l'inconnu. Je cherchais cet endroit, articula-t-il, les yeux toujours aussi ronds et fous. Il fourra à plusieurs reprises la main dans sa poche, marquant une pause et clignant furtivement des yeux entre chaque mouvement. Quand il eût fini, son regard redevint comme avant et il s'adressa une nouvelle fois à l'inconnu d'une voix froide et sans ton : Où sommes-nous ?

      Une école de sorcellerie ? Il ne pouvait donc s'agir que d'un rêve, pensa Aeter, pétrifié. Et pourtant, il était certain d'être parfaitement éveillé. Le jeu avait assez duré, il ne restait plus qu'une chose à faire pour déterminer la réalité ou non de cette situation. Sa main droite se dirigea une dernière fois vers sa poche. Je m'appelle Aeter, dit-il, le regard désespéré. Il ferma alors les yeux un long moment, tandis que d'étranges pensées et volontés inondaient son esprit. Lorsqu'il les rouvrit enfin, son regard semblait terrifié. Et voici ma baguette, dit-il en dégainant le fameux morceau de bois de la poche opposée à celle qui avait maintenu jusque-là son attention.

      Les yeux ébahis, Aeter suivit lentement l'inconnu, d'une démarche lente et difficile. Il ne s'adressa plus à lui de tout le trajet. Le regard baissé, il tentait de penser à autre chose en comptant ses pas. Entendant ses murmures, l'autre se retourna discrètement à plusieurs reprises. Il devait le prendre pour un fou. Et il n'avait pas tout à fait tort. Après trente-six pas, Aeter, calmé, releva les yeux pour admirer le château. "La directrice", avait dit l'homme. Il s'agissait donc d'une véritable école... De sorcellerie, qui plus est, et en plein milieu de l'Écosse. Les yeux toujours grand ouverts, les oreilles toutes ouïes et les sens en éveil, il était prêt à découvrir un nouveau monde. En espérant que celui-ci soit meilleur que le précédent.